Le Bac à Fables

III - How deep is your looooore...

En écrivant cet article, j'écoute ça : Open in new tab

Bon ça fait un moment que je n'ai pas écrit. Mais j'ai fait plein de trucs. On en était où déjà ? Ah oui, c'est très important d'avoir une réponse métaphysi... SHUT UP.

Maintenant, on va faire des vrais trucs qui servent à faire du jeu de rôle. Mieux, à faire une Grande Campagne. Je vais vous parler des piliers que j'ai identifiés.

Deux choses avant ça :

  1. Ils me servent à quoi ces piliers ?
  1. Je les numérote, mais...

Allez, c'est parti, trêve de bavardage !

I - Les boîtes conceptuelles

Les boîtes conceptuelles, c'est quelques paragraphes et des gribouillis. C'est là-dedans que je vais mettre tout mon bullshit cosmicomagique.

Tous les trucs classiques de worldbuilding de fantasy.

Le but de la manœuvre ? Avoir des boîtes thématiques dans lesquelles ranger mes idées, et avoir une petite explication de l'origine de chaque thématique. Il doit s'agir de concepts forts, simples, et pas forcément originaux. Et ça n'a pas forcément à voir avec les conflits contemporains de la campagne, ou des choses matérielles. Ce sont justes des "vérités de l'univers".

Exemple :

Je l'avais dit, pas besoin d'être original. Je dois juste avoir une "idée de base". En continuant le processus de préparation, des petits twists plus originaux pourraient me venir. Dans ce cas, je reviendrais en arrière et je modifierais mes "boîtes". Si j'ai une idée de créature qui ne rentre dans aucune de mes boîtes, je crée une nouvelle boîte, en répondant le plus simplement possible à la question "d'où vient cette créature ?".

Mais il ne sert à rien de me griller les neurones là-dessus. Il vaut mieux garder des idées simples, et venir les peaufiner au fur et à mesure. Encore une fois, l'objectif principal ici, c'est ma cohérence interne.

Si je sais qu'il y a 4-5 plans parallèles, dès que je crée un monstre cosmique, j'ai déjà le confort d'avoir un plan ou un truc magique auquel le connecter, et ça m'évite de devoir mettre un coup de frein à main en mode "non mais attends... un monstre ? d'où il sort lui ?".

Avoir une idée des "règles de base" de cet univers, c'est libérateur, et c'est ce qui va permettre d'en déterminer les exceptions.

Les Ères

Les ères, ce sont encore des boîtes. On y balance des événements à la pelle. Encore une fois, ça n'a pas une importance capitale pour les joueurs. C'est un outil de cohérence interne.

Seul truc primordial pour moi : il ne s'agit PAS d'une chronologie... Foutues dates...

Si je date... j'augmente immédiatement la complexité de tout mon processus de worldbuilding. Cela signifie qu'il y a désormais un calendrier, que je dois me méfier de la concomitance de tous les événements qui vont suivre. Que je vais sans cesse devoir vérifier la cohérence de chaque nouvelle date avec toutes les autres, et donc modifier mes notes, encore, et encore.

Si je garde des boîtes "floues", je ne rencontre pas ce problème. Je peux rester dans le mode "écrivain" sans passer dans le mode "éditeur". L'aller retour constant entre la posture d'écrivain, de critique de ce que l'on écrit, de correcteur... C'est le début de la stagnation.

III - Une map monde avec des noms

Notre monde est ma source d'inspiration principale. Alors, je vais te le dire droit dans les yeux : chacune de mes préparations de campagne démarre par le fait de placer des grosses civilisations clichées avec un biais occidental sur une map affreuse. Pour gagner du temps, et avoir le sentiment que toutes mes campagnes font partie d'un grand tout, j'essaye quand c'est possible de reprendre un maximum de mes concepts de campagnes précédentes, même si la disposition et les détails changent.

Pagor, c'est ma cité monde décadente. Kalgorn, c'est mon gros pâté insulaire rempli de pseudo-celtes et de wanna be vikings.

Un jour, je le crois, j'aurais fait tellement de campagnes que leur amoncellement formera mon univers de fantasy. J'ai hâte.

IV - Définir mon cadre et mes biomes

Que ce soit avant ou après avoir fait ma "map monde", j'ai besoin d'un cadre. Ce cadre, c'est l'endroit sur lequel j'ai envie de bosser. Celui qui fourmillera de détails, et où les PJs vont tout casser. Si je n'ai pas encore fait ma map monde, alors elle se construit autour.

En général, j'en fais une carte légèrement plus détaillée et plus réfléchie que celle du monde. Pourquoi ? Parce qu'une chaine de montagne est une frontière. Une île est une enclave. Une rivière est une voie commerciale. Une forêt est un donjon sans mur.

À mesure que je crée cette carte, je l'interroge, et des idées me viennent. La géographie, les ressources en présence, les distances... Ce sont les vecteurs naturels de l'histoire d'un monde. Cela va logiquement définir des bases culturelles, dessiner des frontières, provoquer des conflits.

La mer = les marins = des histoires à raconter = des voyages = des bâteaux = le bois et la toile = des maisons en bois ou du commerce parce qu'il faut aller chercher le bois = t'as compris.

Mais cela fonctionne aussi dans le sens inverse. Si j'ai des conflits et des factions en tête, l'idéal, c'est de les matérialiser le plus tôt possible sur ma carte. La géographie informe aussi le nom de certains lieux. Bref.

C'est clairement l'un des piliers les plus impactants pour moi. Avoir un tableau global du cadre, c'est mon principal ressort d'improvisation, notamment, dans la manière dont le monde va réagir aux événements géopolitiques, mais aussi, pour décrire les voyages en donnant le sentiment "qu'on est bien quelque part", et pas "dans un décor en carton pâte".

Est-ce que ça doit être parfaitement réaliste ? Non, je te rassure. Ce qu'on cherche, c'est la vérisimilitude. C'est l'approximation de la vérité.

Une bonne culture générale, des références bien senties, feront l'affaire. Il ne s'agit pas de faire démonstration de son expertise. Ni de donner son content de réalisme à Roger l'ingénieur qui t'em***** avec la force cinétique des fléaux d'arme et Annabelle la botaniste qui souligne que cet arbre ne peut pas pousser ici.

Toute personne un tant soit peu lucide se doutera bien qu'il est impossible de maitriser tous les sujets, et surtout, de s'attarder sur tous les sujets.

Mais apporter la juste dose de détails et de complexité, pour qu'on croit être dans un monde et pas dans une histoire... C'est délicieux.

C'est même mieux si tout n'est pas "logique", et qu'il y a des aspérités. Parce qu'il n'y a que dans l'idéologie que le monde est réglé comme une montre. Il n'y a que dans Dnd que chaque village a une taverne.

Ce qui rendra le monde fictif vraisemblable, ce sont ses connexions logiques, au piffomètre, à 80% du temps, ET ses subversions aux règles par moment. Genre, un gars qui escalade la tour Eiffel "pour la performance". Ou, une course de baignoire organisée par la mairie.

C'est très différent d'un travail encyclopédique. Il ne sert à rien de tout écrire d'ailleurs. Il faut juste poser des références évocatrices aux bons endroit. Le cerveau des joueurs fera le reste en posant des questions.

Cette vérisimilitude, ce sentiment qu'on est bien "quelque part", c'est ce qui me tient le plus à cœur. Mais je m'arrêterais là pour le moment, je sors déjà de ce que j'appelle mes "piliers".

À l'issue de l'établissement de ce cadre géographique, il est important que je ressorte avec... encore des boîtes !

Ces boîtes, ce sont des biomes. C'est un découpage arbitraire du cadre, en partie guidé par les frontières naturelles, mais pas seulement. La taille idéale d'un biome, c'est celle qui me permet de me dire : "cet endroit m'inspire suffisament pour y mettre une quinzaine d'idées de lieux / personnages, soit, de quoi les occuper une à deux séances si je les lâche dedans, sans même avoir à faire d'effort". C'est bien sûr TRÈS approximatif. Et ce sera le sujet de mon prochain article.

V - Last but not least... les bombes

Les bombes, ce sont les conflits en cours, prêts à dégénérer. Les conflits latents, prêts à exploser. Les secrets enfouis, qui ne peuvent être ignorés une fois qu'on les a découverts.

Ce ne sont pas vraiment des boîtes cette fois-ci. Mais plutôt, des mini intrigues à retardement. Cela peut-être : "un méchant sorcier cherche un artefact qui se trouve dans biome 1. S'il l'obtient, il aura alors le pouvoir de menacer biome 2. Cependant, il cherche actuellement dans biome 3. Et PNJ B cherche le même objet pour sauver PNJ Z." (conflit latent, prêt à exploser)

Ou : "actuellement, biome 5 et en train d'être envahi par des monstres issus de mythe 2." (conflit en cours, prêt à dégénérer)

Ou encore : "vous tombez sur la tombe oubliée de héros de légende C, réputée contenir l'arme légendaire." (secret qui aurait pu ne jamais être découvert, mais qui ne peut être ignoré).

J'appelle ça des bombes, parce que ce sont des éléments qui ont le potentiel d'affecter le cadre à une échelle importante, que les PJs s'en mêlent ou pas. Des choses qui sont rarement liées aux objectifs des PJs, mais qui vont clairement questionner les motivations des pjs et qui par conséquent, vont influer sur leurs objectifs.

Si les biomes et les détails qu'ils contiennent rendent le monde vivant et crédible, les bombes donne le souffle épique, le sentiment que les choses sont en mouvement, et que les PJs ont le potentiel d'être vecteurs de changement radicaux, s'ils interfèrent avec les intrigues, ou, qu'ils cherchent au bon endroit (cf l'arme légendaire).

Il est à noter que les bombes ne sont pas l'intrigue de la campagne. Ce sont les intrigues en cours dans le cadre, ou autrement dit, dans le monde. Il est peu probable que les PJs puissent s'investir dans toutes ces intrigues. Mais il y a fort à parier que leur histoire personnelle entrera en collision avec les bombes. Et c'est là que ça devient vraiment intéressant.

Du coup...

Quand est-ce que c'est bon ? Quand est-ce qu'on joue ? Il n'y a personne pour me le dire. Et parfois, je me trompe.

Lister ces 5 piliers, c'est mon analyse a posteriori de ce qui me semble avoir marché dans mes Grandes Campagnes. J'estime donc que c'est mon minimum vital. Désormais, si j'ai le sentiment d'être prêt à démarrer... Je me méfierais et je me dirais "attends attends attends... check tes 5 piliers là. Il en manque. Ta campagne ne peut pas attendre une semaine de plus ? Si, si, si...".

MAIS

La réalité, c'est que j'ai appris que pour prendre mon pied, je vais au delà de lister mes grandes idées, créer quelques conflits, et faire une carte, puis préparer au jour le jour.

Je peux jouer avec mes 5 piliers. Mais il va me manquer quelque chose de précieux : avoir plusieurs coups d'avance, en remplissant mes boîtes.

Le contenu des boîtes. Ce sera l'objet du prochain article.

Merci de m'avoir lu !